Le tracking des activités de formation et d’apprentissage personnel s’améliore avec le nouveau standard experience API (xAPi), implémenté massivement par les éditeurs de solutions e-learning. Considérant que la formation initiale va perdre de sa valeur et que la capacité à apprendre va devoir se démontrer en tant que compétence, la prochaine étape pourrait consister à consigner dans un profil d’apprenant les actions et progressions en matière d’apprentissage tout au long de la vie à partir de déclarations d’activités manuelles ou automatisées. En reliant ces déclarations d’activités apprenantes à un profil professionnel, on peut faire évoluer le graphique de nos relations professionnelles de type LinkedIn (social graph) vers un graphique d’expérience (experience graph) montrant le chemin parcouru dans l’acquisition de nouvelles compétences…
xAPI, une innovation de rupture
Une initiative américaine sur le champ du e-learning
Un nouveau standard est en train de se mettre en place dans l’univers du e-learning, l’experience API (xAPI). Initiée en 2011 par le programme américain Advanced Distributed Learning Initiative (ADL), la mise en place d’xAPi répondait à un volonté première de tracer la consultation de contenus de formation élargis (sites web, applications mobiles, MOOCs), en réponse aux limites du standard SCORM, limité aux librairies de contenus des LMS (Learning Management System). La première version a été lancée en 2013, à l’issue d’une phase de collaboration avec les acteurs de la formation digitale (projet Tin Can).
Ce que permet xAPI
Aujourd’hui, ce nouveau standard permet le tracking d’une activité de formation d’un apprenant ou d’un groupe d’apprenants, en présentiel et en distanciel, via un navigateur ou en local, avec ou sans connexion permanente, sur tous types de contenus et d’activités.
Il rend ainsi possible l’agrégation et la lecture de données issues de multiples sources d’une entreprise (formations en ligne, RSE, Intranet…).
Couplé à une solution de visualisation (business intelligence), il permet de visualiser et d’analyser les actions menées.
Les modes d’apprentissage personnels et les activités de communication sociale sont également concernés. C’est là où le potentiel du standard devient exponentiel. Toutes les expériences d’apprentissage peuvent être tracées !
Comment fonctionne xAPI
Cette API fonctionne selon un principe d’envoi/réception de données de suivi entre un serveur et un serveur d’enregistrement de suivi, appelé Learning Record Store (LRS). Ce fonctionnement est résumé par la phrase “I did this”, selon un modèle dans lequel 3 données sont obligatoires, constitutives d’une « expression » : acteur, verbe, objet (Exemple : Stéphane (acteur) a consulté (verbe) la vidéo Lynda X (objet)). Les données stockées sont potentiellement exportables vers un autre LRS mais restent propriétaires. L’enjeu principal est donc de conserver un tracking exploitable quel que soit l’environnement de données en s’affranchissant d’un suivi propriétaire via des API ouvertes.
Vers une mesure en temps réel des activités de développement personnel et de la performance humaine ?
Un monde d’apprentissage permanent
Les expériences menées ont permis d’envisager un suivi élargi des expériences d’apprenants à partir de données collectées et échangées via des sites web, LMS ou réseaux sociaux. Les éditeurs de LMS implémentent aujourd’hui massivement cette API dans leurs systèmes. La communauté xAPI construit les exigences de conformité dans un souci d’interopérabilité et travaille sur des bibliothèques de « verbes ».
Imaginons, avec ce principe du « I did this », que les individus puissent consigner leurs actions et progression en matière d’apprentissage tout au long de la vie hors et dans le cadre d’une activité professionnelle, à partir de déclarations d’activités manuelles ou automatisées validées par un enregistrement : a lu un article, a visionné une vidéo (complètement ou non), a visionné un programme de e-learning et a obtenu un certificat, a suivi des comptes sur Twitter, a participé à un meet-up ou à une conférence, etc.
Imaginons ensuite que ces apprentissages soient regroupés par thématique de sujets et puissent être reliés à des compétences comme à des résultats dans le monde réel.
Imaginons enfin que ces déclarations d’activités apprenantes soient présentées sous la forme d’un graphique d’expérience évoluant en temps réel, visible et partagé.
On ouvre ainsi la promesse d’un remplacement complet du CV par un profil professionnel connecté à un profil d’apprenant.
Vers l’avènement de profils d’apprenants
On peut prédire sans trop de risque l’avènement sur le marché du travail de profils d’apprenants. Comme on peut déjà le faire en mentionnant sur son profil professionnel les formations suivies, l’entretien de ses connaissances va devoir de plus en plus se démontrer et s’afficher en tant que compétence à apprendre.
Face à l’évolution rapide du niveau de connaissances, la formation initiale va perdre de sa valeur beaucoup plus rapidement, tout en restant un marqueur permettant d’identifier une capacité d’apprentissage.
Prenons l’exemple de Duolingo, site et application de langues. Le principe de base est que le niveau de maîtrise d’une langue s’entretient : il progresse ou il diminue en fonction de l’intensité de la pratique. Ainsi, avec Duolingo, le pourcentage de maîtrise de la langue – que l’on peut afficher sous forme de badge dans son profil professionnel – est variable.
Du social graph à l’experience graph ?
Dans cette approche, on peut faire évoluer le graphique de nos relations professionnelles de type LinkedIn vers un graphique d’expérience montrant le chemin parcouru dans l’acquisition de nouvelles compétences.
En partageant ses données d’expérience, le candidat actif ou passif donnerait une nouvelle dimension à ses démarches d’employabilité.
Couplé à des solutions de matching, le graph d’expérience permettrait aux recruteurs d’avoir une information plus qualifiée sur les candidats présélectionnés.
Ce modèle est déjà en place pour les meilleurs développeurs recrutés via GitHub et stackoverflow, qui constituent le nouveau CV pour les entreprises tech.
GitHub offre la possibilité de mesurer un nombre de contributions d’un développeur à un projet, sous la forme d’une visualisation sur un axe temporel d’un nombre plus ou moins fort de révisions du code. L’intérêt de ces grilles de compétences en recrutement n’a pas échappé à des solutions de recrutement. Pour répondre aux besoins des recruteurs, la start-up espagnole source{d} va comparer via GitHub la manière de coder des développeurs, à base de techniques de deep learning.
Ce modèle pourrait être étendu à d’autres projets collaboratifs faisant intervenir d’autres types de compétences. De nombreuses recherches sont en cours sur ce sujet de la visualisation des compétences. Elles se heurtent principalement aux difficultés de traduire en compétences des expériences évolutives et de faire reposer l’alimentation et la mise à jour de ces profils sur une action déclarative.
Vers une inscription des expériences dans la blockchain ?
L’utilisation de la blockchain en tant que registre laisse envisager de nouvelles possibilités de certification pour les documents légaux de type diplômes. Mais pourquoi ne pas imaginer son utilisation en matière de gestion des carrières ? Avec des employeurs agissant en tiers de confiance ?
Dans une vision du futur du recrutement proposée par Yves Loiseau lors de nos entretiens, le profil professionnel personnel deviendrait un profil polymorphe comprenant une diversité de documents et d’oeuvres ayant des auteurs différents. Placé sous le contrôle principal de son titulaire, ce profil comporterait des méta-données sur la candidature, contrôlées par le titulaire du profil y donnant accès selon ses besoins. Il serait enrichi par l’employeur des compétences développées dans l’emploi, ces compétences devenant visibles lorsque la personne ne serait plus dans l’emploi.
Actuellement, c’est sur l’évaluation de l’expérience par les pairs que reposent les premières plateformes permettant la mise en oeuvre d’organisations collaboratives décentralisées (DCO ou Decentralized Collaborative Organization), à l’image de la plateforme Colony (voir ci-dessous). Les règles de fonctionnement de ces communautés ouvertes reposent sur la gamification (obtention de points) et la réputation (évaluation basée sur des faits mesurables).
L’expérience Colony
La start up londonienne Colony a été primée en mars 2016 lors de la conférence Consensus, sommet annuel consacré à la technologie blockchain, dans la catégorie « Proof of work ». Colony est une plateforme de collaboration sociale qui permet de construire des projets avec des entreprises ou des équipes décentralisées. Caractérisée par l’absence de hiérarchie, l’organisation de travail, appelée la colonie, se structure en fonction de ce qui a été fait par chacun : idées, tâches, interactions via un processus appelé « proof of cognition ». A la clé : un gain de « nectar », la crypto monnaie utilisée sur la colonie, correspondant à ce niveau de contribution appelé « proof of work ». Ce niveau de reconnaissance des compétences et expertises détermine des droits de gouvernance de la colonie, qui évoluent en fonction des apports individuels. Les réalisations des membres de la colonie sont consignées de manière infalsifiable sur la blockchain. Avec une couche d’intelligence artificielle, il est alors possible de constituer des équipes depuis la plateforme à partir d’un matching entre l’expérience d’un membre de la colonie et une activité. Comme l’indique l’article de la Revue du digital, cette start up londonienne se focaliserait sur la création d’une place de marché mondiale pour les freelances, tout en s’offrant la possibilité de proposer sa solution aux entreprises. |
Cette vision d’un futur relativement proche va se heurter aux questions liées à la privacy, face aux tenants d’une forme de solutionnisme technologique reposant sur une logique de « quantified self« .
La blockchain et ses promesses de sécurisation de la donnée peuvent constituer une solution pour faire émerger plus rapidement des solutions d’experience graph.
Les bénéfices potentiels de la blockchain sont connus du point de vue de la protection des données par les utilisateurs (concept de privacy) :
- La propriété des données n’est pas transférée à un éditeur mais est conservée ;
- L’opacité des données collectées et utilisées laisse place à la transparence ;
- Le contrôle permanent des permissions d’accès par l’utilisateur met fin aux pratiques de transfert définitif des permissions à une application.
Reste qu’avec un éditeur comme Microsoft-LinkedIn à la manette, on peut s’interroger sur le modèle qui serait mis en place.
LinkedIn peut piloter cette évolution
Comme le prospectiviste Garry Golden, on imagine en effet très bien LinkedIn piloter cette évolution.
Utilisant déjà le principe du social graph appliqué à des relations professionnelles, LinkedIn s’est positionné fortement sur le secteur du learning en rachetant la société Lynda en 2015.
Lynda offre déjà la possibilité à ses utilisateurs de faire apparaître dans le profil LinkedIn (rubrique « Certifications ») des badges de certification correspondant aux cours suivis en intégralité. C’est un premier pas.
Quoi de mieux en effet que de compléter la recommandation sociale de compétences déclarées (recommandations données d’un simple clic et dont la valeur est toute relative) par la preuve d’une action d’apprentissage sur la compétence déclarée et recommandée : qu’apprenons-nous ? Comment ? Avec qui ?
Microsoft, qui a fait l’acquisition de LinkedIn et qui intègre désormais les outils RH de l’éditeur Workday, pourrait tout à fait interfacer sa suite Office 365 avec xAPI, Google avec ses Googles Aps également.
Capturées nativement au sein des outils sociaux utilisés dans l’entreprise, les déclarations d’activité seraient ajoutées par l’utilisateur à son graph d’expérience et pourraient être partagées avec un manager.
A partir des données collectées et des progrès du machine learning, des assistants personnels viendraient soutenir les démarches d’apprentissage.
En terme de déploiement, Gary Golden pose un scénario dans lequel LinkedIn mettrait en place dès la fin 2018 un programme de partenariat avec des grandes écoles et universités utilisant des LMS au format xAPI (ce qui est déjà le cas et qui confirme que les early adopters se trouvent parmi la population étudiante). Dans cette vision, les grandes entreprises telles Google ou GM n’accepteraient plus de CV à compter de 2023 !